
Interview - Michael Schur : "Ron Swanson de Parks and Rec est le plus éthique des personnages"
Michael Schur, c'est le créateur de certaines des meilleures séries comiques des années 2000, puisqu'on lui doit ni plus ni moins que la version américaine de The Office, Parks and Recreation, Brooklyn Nine-Nine et The Good Place. C'est d'ailleurs cette dernière petite pépite qui lui a inspiré son livre Comment être parfait, qui sort ce 27 octobre, et nous a permis de le rencontrer à Paris pour discuter de philosophie et de bien d'autres choses dans ses séries. Et c'est peu dire qu'il avait autant de choses à dire qu'à écrire...
"J'étais dans un Starbucks, et je voulais laisser ma monnaie comme pourboire. Ce n'était que 27 cents, mais je ne sais pas pourquoi, je voulais attendre que le barista se retourne pour qu'il voit que je laissais un pourboire. Je me suis demandé : 'Mais pourquoi je fais ça ?', et c'est comme ça que l'idée de 'The Good Place' a commencé à germer en moi." Pourquoi agit-on ainsi, à chercher l'approbation des gens, à se convaincre que l'on est une bonne personne, qui fait des bonnes actions ? Qu'est-ce que cela nous apprend sur nous, notre morale et notre éthique ? C'est grâce à ce genre de questionnements que Michael Schur, déjà créateur et showrunner de séries cultes comme The Office, Parks and Recreation et Brooklyn Nine-Nine, a imaginé The Good Place, une petite pépite comique en quatre saisons, disponible sur Netflix, lancée en 2016 et terminée en 2020. Et l'idée d'envoyer des gens au Bon Endroit (le Paradis) ou au Mauvais Endroit (l'Enfer) selon des points qu'ils auraient pu marquer suite à leurs actions dans la vie vient aussi du quotidien de Michael Schur : "En voiture avec ma femme, dès que je voyais quelqu'un conduire sans ceinture ou faire des queues de poisson, je lui disais : 'Cette personne vient de perdre 20 points pour l'au-delà.' C'est en imaginant que quelqu'un tenait ces comptes que la série s'est vraiment matérialisée."
Kant, pizza hawaïenne et Fast and Furious
Passionné de philosophie, Michael Schur a donc voulu continuer à explorer les préceptes moraux évoqués par la série, notamment via le personnage de Chidi, professeur d'éthique ("C'est le personnage qui me ressemble le plus, même si je suis moins chiant. Enfin j'espère (rires)") dans un livre, Comment être parfait, qui paraît ce jeudi 27 octobre chez Philosophie Magazine Éditeur. Un livre entre philosophie et fun, donc "philosofun", dans lequel le scénariste explique les grands principes de la philosophie, déroulant la pensée de grands noms comme Aristote, Kant, Sartre ou Camus, tout en multipliant les références à la pop culture pour vulgariser ses propos (c'est le seul livre de philosophie avec des citations de Fast and Furious à l'intérieur), et en livrant quelques secrets sur ses séries emblématiques. Michael Schur espère ainsi qu'après la lecture de Comment être parfait, les gens aient retenu deux choses : "Qu'il ne faut pas mettre d'ananas sur une pizza, c'est le plus important (rires). Mais aussi qu'ils comprennent les grandes théories de l'éthique et de la déontologie, à un niveau un peu supérieur à celui de Wikipédia (rires). Parce que je sais que pour moi, mieux comprendre cela a amélioré ma vie."
Dwight Schrute, personnage le moins éthique de The Office ?
Et comme il est physiquement impossible de passer du temps avec Michael Schur sans évoquer ses séries, nous avons voulu savoir qui, selon les préceptes philosophiques énoncés dans son livre, était la meilleure personne dans The Office, entre les personnages de Michael Scott, Dwight Schrute et Jim Halpert : "Je dirais que c'est Michael, malgré tous ses défauts. Parce qu'il ne voit pas ses défauts, il a un tel besoin d'amour et de reconnaissance qu'il ne comprend pas qu'on ne puisse pas le trouver drôle, sympathique ou intelligent. Mais au fond de lui, c'est une bonne personne. Alors que David Brent, le personnage de Ricky Gervais dans la version anglaise originale de The Office, n'est vraiment pas une bonne personne (rires). Michael Scott est beaucoup plus humain. Jim Halpert aussi est quelqu'un de bien, mais de temps en temps, il devient mauvais, parce que son voisin de bureau Dwight est insupportable, parce qu'il est amoureux de Pam, qui elle sort avec pire abruti possible... Alors tout ça le fait changer par moments. En tout cas, Dwight est vraiment le pire (rires). Parce qu'il ne fait qu'obéir à des règles : ses propres règles. Ce qui fait tout simplement de lui un fasciste. D'ailleurs il vient d'une famille nazie. Il y a une blague dans un épisode, je ne pensais pas qu'elle serait conservée au montage final : Dwight dit qu'il a voulu rendre visite à sa grand-mère en Argentine, mais que son visa avait été annulé par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Il vient clairement d'une famille nazie et en a gardé certains codes. Donc au début de la série, non, ce n'est vraiment pas quelqu'un de bien (rires)."
Mais au moment de parler d'éthique, c'est un nom plus surprenant que Michael Schur décide de mettre en avant. Dans toutes ses séries, de tous ses personnages délirants, et Chidi de The Good Place, professeur d'éthique, mis à part, celui qu'il considère comme le plus éthique, mais qui est aussi son personnage préféré n'est autre que... Ron Swanson, le chef moustachu du bureau de Parks and Recreation, interprété par Nick Offerman :
"Il a un code moral très, très rigide. Il met un point d'honneur à traiter toutes les personnes de la même façon, peu importe de qui il s'agisse. On a fait un épisode, dans la 5e saison je crois, durant lequel il se rend dans un bar gay, et j'ai dit à Nick Offerman que rien de ce qui se passerait ne pouvait affecter le personnage de Ron, parce qu'il ne se soucie pas du tout de l'orientation sexuelle des gens, de savoir s'ils sont riches ou pauvres, de si c'est un homme ou une femme. Et ça, ça n'a pas toujours été le cas dans les séries. Avant, dans les années 1990, il y avait beaucoup de ce que l'on appelle "la panique gay", avec deux hommes qui se faisaient un câlin et se mettaient à paniquer à l'idée que l'on puisse penser qu'ils étaient gays. C'est quelque chose qui revenait beaucoup trop dans les comédies à la télévision. C'est pour ça qu'on voulait faire cet épisode. Le personnage de Ron Swanson, lui, pense que chaque personne mérite le respect, qu'il n'a pas à s'occuper des affaires des autres. Il respecte tout le monde, à tel point qu'il ne peut même pas mentir. C'est mon personnage préféré, et vraiment le plus éthique !"
Qui sont les personnages préférés de Michael Schur ?
Derrière Ron Swanson, l'incroyable capitaine Holt de Brooklyn Nine-Nine est aussi ce que Michael Schur qualifie de "compas moral", tandis que sa réponse est moins évidente pour désigner le personnage le moins éthique de tous : "Tous les autres (rires). Tom Haverford dans Parks and Recreation fait plusieurs choix douteux, Todd Packer dans The Office n'est clairement pas quelqu'un d'éthique... En fait, la plupart des personnages de comédies sont drôles parce qu'ils ne sont pas éthiques du tout." Et ceux-là ne sont pas forcément les préférés de Michael Schur : "Les plus amusants à écrire sont les lunatiques, ceux avec qui ça va être de la pure comédie dès qu'ils apparaissent à l'écran. Mais ceux que je préfère, auxquels je m'identifie le plus en tout cas, sont les "normaux". Je pense à Jim de The Office, Ben de Parks and Recreation, Amy de Brooklyn Nine-Nine... Oui, ce sont vraiment eux dont je me soucie le plus." Alors forcément, on veut savoir si de nouveaux personnages arrivent, ou d'anciens personnages reviennent, et on demande à Michel Schur quel est son prochain projet : "Je produis des séries qui arriveront dans les deux prochaines années, mais je n'ai rien commencé à écrire."
Avant de découvrir la prochaine série de Michael Schur, on peut donc retrouver son humour toujours aussi affûté dans son livre, Comment être parfait. Un livre qu'il n'hésite pas à présenter comme "le plus drôle de tous les livres de philosophie jamais écrits. Parce qu'il n'y a aucun livre drôle de philosophie. Il suffisait de mettre une blague dans le livre, et hop, il était aussitôt devenu le plus drôle (rires)."
Et forcément, cette lecture ne pourra que vous donner envie de plonger, ou replonger, dans les chefs-d'œuvre d'humour que sont The Good Place, The Office et Brooklyn Nine-Nine, trois séries disponibles sur Netflix. Pour Parks and Recreation, c'est sur Prime Video qu'il faut se rendre.
Source : Philosophie Magazine
