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Musique

Interview The Offspring : Docteur Holland et Mister Noodles

Le groupe The Offspring en studio pour la sortie de Let the bad times roll © Concord Records

La cinquantaine maintenant bien passée et tassée, les punks californiens de The Offspring sont enfin de retour dans les bacs, après neuf ans d'absence. Let the bad times roll, leur 10e album, sort ce vendredi 16 avril, et pour l'occasion, nous avons pu parler avec le chanteur Dexter Holland et le guitariste Noodles, depuis leur studio d'enregistrement. Leurs riffs n'ont pas pris une ride, et eux non plus.

Depuis 1994 et l'énorme succès de Smash, The Offspring reste le groupe qui a popularisé le punk rock, à grands coups de tubes comme Self esteem, Come out and play, Pretty fly (fot a white guy), The Kids aren't alright ou Why don't you get a job ?, et vendu plus de 40 millions d'albums dans le monde. Ils incarnent à merveille la Californie, les vidéos de surf et de skate, et sont enfin de retour avec un nouveau disque, Let the bad times roll, après neuf ans d'absence. Un disque dans lequel on retrouve tout ce qui fait le succès de The Offspring : des refrains qui se retiennent dès la première écoute, des riffs de guitare incisifs, et la voix si reconnaissable de Dexter Holland. Un nouvel album de The Offspring, en fait, c'est maintenant pour trois générations de suite la sensation d'être de retour au lycée...

Neuf ans se sont écoulés depuis la sortie du précédent disque, Days Go By : pourquoi avoir pris autant de temps ?

- Noodles (guitare) : C'est une question légitime (rires), on nous le demande beaucoup. En fait on a été pas mal occupé pendant ces neuf années, Dexter est retourné à l'école, on a tourné chaque année, et on a composé de nouvelles chansons. Mais on a préféré prendre notre temps pour vraiment ne garder que des bonnes chansons, et sortir le meilleur album possible.

- Dexter (chant-guitare) : Et maintenant semblait être le bon moment.

- Noodles : Oui, je pense qu'on a réalisé il y a environ un an que l'album était terminé, mais il y a encore deux ans on était dans un moment très créatif, et on voulait continuer à en profiter, à essayer beaucoup de choses pour voir où cela nous menait. On avait enfin un très bon album de The Offspring, on était prêt à le sortir en 2020, et hop, la pandémie a commencé ! Sans la possibilité de pouvoir tourner pour accompagner la sortie, on a préféré la retarder, revenir sur quelques détails de l'album pour le polir, améliorer l'artwork. Et depuis on a fait une chanson de Noël, et même une reprise d'une chanson de Tiger King, la série Netflix. Finalement, on s'est dit qu'il était temps de sortir ce nouveau disque et faire découvrir ses chansons.

Pourquoi avoir appelé ce nouvel album Let the bad times roll ?

- Noodles : Eh bien, regarde l'état du monde (rires). En ce moment, c'est soit tu fais partie de ceux qui mettent des coups, soit tu te fais massacrer. On est là, à voir tout ce qui ne va pas en ce moment, et on s'est mis en mode "Ok, allez-y, envoyez tout, montrez-nous ce que vous avez, on est prêt à encaisser". Et en même temps, on a les leaders mondiaux qui veulent laisser ces mauvais moments continuer (let the bad times roll en VO, ndlr), parce qu'ils veulent que les gens soient divisés, parce que de cette façon ils peuvent rester au pouvoir et continuer à se faire de l'argent.

Encore une fois sur cet album, on reconnaît la touche The Offspring dès les premières secondes, notamment grâce à ta voix, Dexter. Quel est ton secret pour toujours avoir la même depuis 37 ans ? Le thé ? La sauce piquante ?

- Dexter : Je ne parle qu'en murmurant (rires).

- Noodles : Ah non, ça c'est Billie EIlish (rires).

- Dexter : Ah oui, c'est vrai (rires). Je ne sais pas vraiment, j'ai de la chance que ma voix soit restée identique depuis tout ce temps, oui. Mais mon seul truc, c'est de faire quelques exercices pour la chauffer.

À part Gone Away Requiem (version au piano de Gone Away, chanson figurant sur Ixnay on the hombre, album de 1997, ndlr), quelle est la plus ancienne chanson présente sur cet album ?

- Noodles : Je pense que c'est Coming for you. Même si en vrai, c'est We never have sex anymore, qui est une chanson que l'on a depuis très longtemps, dans sa version acoustique, mais que l'on n'avait pas envisagé d'enregistrer "pour de vrai" jusque-là. Comme pour Hassan Chop, une autre chanson de l'album, avec un riff oriental. Dexter l'avait enregistré il y a longtemps, et on l'a enfin utilisé pour une chanson de cet album. En fait Dexter avait trouvé ce riff de guitare avant même que je ne rejoigne le groupe...

- Dexter : Oui, c'était dans les années 1980 ! Il y a une partie de la chanson qui date des années 80 !

- Noodles : Ah oui quand même : on a mis 35 ans à finaliser cette chanson et en faire une bonne version.

- Dexter : On attendait juste le bon moment (rires).

En fait les chansons de cet album sont peu comme des bouteilles de vin, que l'on conserve plusieurs années pour mieux les apprécier quand le moment est venu ?

- Dexter : Mais oui, tu as raison ! Est-ce que je peux utiliser cette métaphore pour les prochaines interviews ? C'est excellent !

- Noodles : Totalement ! Et d'ailleurs on adore tous les vins français. Ce que je préfère faire quand je suis en France, c'est manger une "entrecôte, des haricots verts" (en français dans le texte, ndlr), avec un bon verre de vin français.

- Dexter : Et regarder Netflix (rires).

- Noodles : Oui, c'est vrai (rires).

Puisqu'on en parlait, est-ce que la chanson We never have sex anymore est basée sur votre expérience personnelle ?

- Noodles : Ça parle de cette période de deux semaines, dans chaque relation, au bout de laquelle la passion des débuts commence à s'éteindre, et qu'on tombe dans la routine. Je pense que tout le monde passe par là et peut se reconnaître là-dedans...

- Dexter : Attends, pour toi c'est deux semaines, c'est tout ?

- Noodles : Peut-être pas pour les Français, peut-être qu'eux qu'ils font tout le temps l'amour. (rires)

Les paroles dans Let the bad times roll sont sans doute parmi les plus sombres que vous ayez écrites. Là encore, cela vient de votre vision du monde actuel ?

- Dexter : Tout à fait. La dernière que l'on a composée, c'est This is not utopia, et je l'ai écrite avant que les émeutes de l'an dernier aux États-Unis ne surviennent. Quand elles ont commencé, j'ai relu les paroles, et je me suis dit "mais en fait, c'est quelque chose que j'aurais pu écrire hier, à propos de ce qui est en train de se passer". C'était juste une coïncidence mais...

- Noodles : En es-tu sûr Dexter ? (rires)

- Dexter : Non, en fait je peux voir l'avenir (rires). Plus sérieusement, c'est une chanson que j'aurais aussi pu écrire après l'invasion du Capitole. Encore en ce moment, il y a des fusillades qui se produisent... C'est une chanson malheureusement trop souvent d'actualité. Les paroles évoquent le fait que l'on voit sans cesse les mêmes choses se reproduire, et que l'on ne parvient pas à les empêcher et à aller de l'avant. Mais à la fin de la chanson, on délivre un message d'espoir.

- Noodles : Oui, parce qu'avant de pouvoir arranger un problème, il faut pouvoir le nommer. Et This is not utopia parle aussi de cela, des leaders politiques qui nous disent "voici ce qu'il vous faut", qui promettent des tas de choses, mais qui finissent par nous vendre autre chose. Je ne sais pas si ce que je dis est clair...

- Dexter : Si, je trouve que tu as bien expliqué. Tu dis qu'il y a trop de différences entre ce qu'ils promettent de faire, et ce qu'ils font vraiment.

- Noodles : Exactement ! Merci Dexter !

Comme pour Dirty magic sur Days go by, il y a une nouvelle version d'une ancienne chanson, Gone away, sur Let the bad times roll. Est-ce que ça va devenir une nouvelle tradition sur les disques de The Offspring ?

- Noodles : (rires) Oui, on a toute une liste ! On a une version mexicaine de Da Hui par exemple.

- Dexter : On devrait même faire un album entier rempli de nouvelles versions de nos chansons, comme ça on aurait rien à écrire, ça serait bien (rires). En fait on a fait ces deux chansons pour des raisons très différentes. Gone away au piano est une chanson que l'on joue sur les tournées depuis très longtemps, et les fans nous la réclament en version enregistrée depuis des années sur les réseaux sociaux. C'est un peu un cadeau pour les fans, cette nouvelle version.

Comment est-ce que vous composez les chansons dans The Offspring ? Comment faites-vous pour toujours trouver des mélodies aussi efficaces ?

- Dexter : Il y a plusieurs façons possible, certaines passives, d'autres actives. Les idées me viennent souvent quand je conduis, en voiture, dans le désert. Il faut que je sois en action, ça peut être sur un bateau, ou pendant un footing. J'ai des choses qui me viennent en tête, et j'arrive en studio pour essayer de les faire exister.

- Noodles : Quand Dexter arrive, il nous présente ses idées, à moi et à Bob (Rock, le producteur de leurs derniers albums, ndlr), et on essaie de comprendre ce qu'il a en tête pour faire sonner les chansons au moins comme il les imaginait, et si possible mieux. On capte ces bouts d'idées sur des cassettes... Enfin, non, on n'utilise plus de cassettes maintenant (rires). Et Dexter a l'habitude de dire que c'est là qu'il a le cœur brisé, parce qu'il arrive avec quelque chose en tête qui lui paraît incroyablement bien, et des fois ça ne rend pas aussi bien que ce qu'il avait imaginé...

- Dexter : Oui c'est un peu décevant parfois. C'est comme si tu avais fait un dessin dans ta tête, et que tu venais en studio pour enfin le colorier, mais que les couleurs ne le rendent finalement pas aussi beau que tu pensais qu'il serait.

- Noodles : Et il y a différents cas de figure. Par exemple la chanson Let the bad times roll a mis longtemps à se construire, alors que ça a été très rapide pour This is not utopia. En fait, il y a aussi un truc avec Bob : quand il nous dit "ça va être bien", ça veut dire qu'il faut qu'on continue à travailler sur une chanson, pour l'améliorer. Et des fois ça fait du bien de prendre du recul, pour revenir sur quelque chose et le terminer correctement.

Avec ses paroles, est-ce que Coming for you ne pourrait pas finalement être la suite de Come out and play (un de leurs gros tubes de Smash, album culte de 1994, ndlr) ?

- Dexter : C'est une très bonne question. Je n'y avais pas songé. Coming for you est écrite à la première personne, mais ce n'est pas parce qu'elle est à la première personne qu'elle est autobiographique. Là elle parle d'une personne, ou d'un groupe, qui en a juste marre d'écouter les autres, et qui désire réagir, mais de façon violente. Ce qui est un sentiment naturel, et c'est pour ça qu'elle correspond tout à faire à l'idée générale exprimée dans Let the bad times roll.

- Noodles : Elle correspond tout à fait. Et je... Ouais, je vois des gens comme ça tout le temps aux infos, en train de crier "on ne va plus supporter ça plus longtemps", "on va mettre fin à cela", et quand ces gens perdent toute leur perspective, ça peut très mal tourner, comme on a malheureusement pu le constater durant ces dernières années.

Il y a une surprise sur l'album, avec votre propre version de In the hall of the moutain king (un extrait d'une musique de scène signé Edvard Grieg, ndlr). Est-ce un peu la nouvelle Intermission, comme sur Ixnay on the hombre ?

- Noodles : Ah oui, ça y ressemble d'une certaine façon. Bon, à part que Intermission, c'est une chanson calme, pour se détendre. Là, c'est vraiment beaucoup plus rapide, on ne pourrait pas se reposer en jouant ça en concert (rires).

- Dexter : L'idée c'est de mettre quelque chose de surprenant dans l'album. C'est quelque chose que je trouve très intéressant. Beaucoup de groupes des années 1980 mettaient des petits extraits comme ça, de plusieurs secondes, entre des morceaux, et ça mettait une certaine ambiance au disque. C'est pour retrouver cette sensation que des fois on glisse des trucs étranges d'une minute au milieu de nos disques. Intermission, d'ailleurs, on devrait l'utiliser à nouveaux pour nos prochains concerts, c'est une bonne idée.

Quelle est votre chanson préférée sur Let the bad times roll, et pourquoi ?

- Noodles : Alors ça c'est compliqué. Ça peut changer de jour en jour, et même d'heure en heure. Pour moi en ce moment c'est Behind your walls. En général sur nos disques mes chansons préférées sont les plus punks, mais sur celui-ci j'adore absolument tous les titres. Mais je reviens souvent sur Behind your walls.

- Dexter : C'est très dur de répondre, parce qu'on a vraiment travaillé longtemps sur chaque chanson. Je ne veux pas faire la réponse typique du groupe en promo qui dit "j'adore toutes les chansons et cet album est le meilleur que l'on ait fait". Et pourtant, c'est ce que je ressens. J'en suis vraiment très fier, et j'aime toutes les chansons.

- Noodles : En tout cas pour moi la plus fun à jouer à la guitare c'est We never have sex anymore.

- Dexter : Oui, elle est cool à jouer. Moi en ce moment ça serait peut-être This is not utopia ma préférée.

Et de toute votre discographie, laquelle est votre préférée ?

- Noodles : Oh c'est encore plus dur ! Je pense que c'est la chanson que je préfère jouer en concert, et franchement The kids aren't alright reste celle qui me procure toujours autant d'émotions. On s'est promené tous les deux dans le coin tout à l'heure, et la chanson correspond encore tout à fait à ce que je ressens quand je suis ici (à Huntington Beach, en Californie, ndlr).

- Dexter : Pour ma part, ça serait... Rha je ne sais pas, c'est vraiment trop dur. En me basant également sur les concerts, je dirais peut-être You're gonna go far, kid, j'adore la jouer, et j'ai même l'impression qu'elle est de plus en plus appréciée au fil des années. C'est encore plus dingue de la jouer maintenant qu'il y a 5 ans.

Pour finir, Dexter, tu es retourné à la fac de 2012 à 2017 pour obtenir ton doctorat (en biologie moléculaire, ndlr). Maintenant il faut t'appeler Doctor Holland, ou Dexter Holland ?

- Noodles : (rires) On doit l'appeler Doctor Holland !

- Dexter : Doctor Holland (rires). Non, je ne suis pas un vrai docteur...

- Noodles : Pas le bon genre de docteur en tout cas (rires).

- Dexter : (rires) Je trouve que c'est bizarre quand les gens demandent qu'on les appelle Docteur, donc je préfère qu'on continue à m'appeler Dexter.

- Noodles : Ou professeur. Professeur Holland (rires).

- Dexter : "L'honorable" professeur Holland (rires).

- Noodles : Et moi je veux qu'on m'appelle l'écuyer : Noodles l'écuyer. C'est mon prochain boulot (rires).

Let the bad times roll, le nouvel album de The Offspring, est en ligne depuis ce vendredi 16 avril sur les plateformes de streaming Deezer et Napster, disponibles en option avec fotre forfait SFR.

Sébastien Delecroix
https://twitter.com/seb_o_matic Sébastien Delecroix Rédacteur