
L'histoire folle de Sixto Rodriguez : icône d'une révolution malgré lui
L'histoire folle de Sixto Rodriguez est celle d'une success story pas comme les autres. Le musicien, décédé le 8 août dernier à l'âge de 81 ans, était devenu l'icône d'une véritable révolution sans en avoir connaissance. Retour sur l'incroyable destin du "Sugar Man", l'homme devenu une star planétaire malgré lui.
Son nom ne vous est peut-être pas familier, mais vous connaissez certainement sa musique. En Afrique du Sud, on l'élève au même rang que les légendaires Elvis Presley, Bob Dylan et Neil Young. Né dans les années 1940, Sixto Rodriguez est devenu l'une des figures de la révolution de l'Apartheid... alors qu'il était ouvrier à Detroit et que la plupart de ses fans le pensaient mort. C'est l'histoire vraie d'un homme devenu une star sans même le savoir, et dont la carrière a explosé alors qu'il avait plus de 50 ans et qu'il pensait ne jamais percer. On vous raconte le destin hors normes de celui que beaucoup ont découvert grâce au documentaire Sugar Man.
Sixto Rodriguez : la musique dans la peau
C'est à Detroit, le 10 juillet 1942, qu'est né Sixto Rodriguez. Sixième enfant d'une famille d'immigrés mexicains, Sixto évolue dans la classe ouvrière, où il fait dès son plus jeune âge le constat des multiples problèmes sociaux auxquels sont confrontés les siens. C'est son père, qui l'élève seul suite à la mort de son épouse, qui lui transmet son amour pour la musique. Une passion qui va tellement habiter Sixto Rodriguez qu'il décide d'arrêter ses études - alors qu'il est encore lycéen - pour se lancer dans une carrière de musicien et partir conquérir les bars de Detroit avec sa guitare, où il joue des reprises de ses artistes préférés : Bob Dylan, les Rolling Stones, ou encore Ray Charles.
C'est quelques années plus tard, dans l'un de ces bars où flottent dans l'air des volutes de fumée, que deux producteurs du label Sussex Records repèrent Sixto Rodriguez. Il faut dire que le jeune musicien attire l'attention : contrairement à la plupart des artistes qui se produisent dans ces établissements, Sixto joue et chante en tournant le dos au public, trop intimidé pour lui faire face. Et puis, surtout, ce qui frappe les producteurs qui le découvrent ce soir là, c'est sa voix si particulière, chargée d'une émotion qui captive instantanément l'assemblée présente. Certains d'avoir déniché là leur future poule aux œufs d'or, les deux hommes proposent à Sixto d'enregistrer un disque. Cold Fact, le premier album de Sixto Rodriguez arrive dans les bacs des disquaires en 1970... et c'est la douche froide. Personne n'achète le disque : le flop est total.
Son label ne jette toutefois pas encore l'éponge. On envoie Sixto Rodriguez en Angleterre pour qu'il y enregistre un deuxième album, Coming From Reality, qui sort en 1971. Une nouvelle fois, c'est un échec commercial. L'année suivante, le musicien est remercié par son label, et après avoir tenté en vain de poursuivre son rêve, il décide de tirer un trait définitif sur sa carrière d'artiste. Interrogé par le magazine Time en 2012, il est revenu sur le tournant qu'a pris sa vie à cette époque :
"J'ai arrêté de poursuivre le rêve de la musique en 1974. J'ai quitté la scène musicale et j'ai commencé à travailler sur des chantiers de construction. Je faisais de la démolition, de la rénovation, je remplissais des sacs, je faisais un peu de toiture."
Dans les années qui suivent, Sixto Rodriguez exerce différents métiers dans le bâtiment, s'implique dans la vie politique de Detroit, reprend ses études et décroche un master en philosophie en 1981. Devenu père de trois filles, il a définitivement renoncé à la musique. Mais au beau milieu des années 1990, il va apprendre que de l'autre côté de l'Atlantique, il est devenu une légende.
Sixto Rodriguez Superstar
Tandis que Sixto Rodriguez a abandonné la musique et coule une existence on ne peut plus banale aux États-Unis, un miracle se produit à des milliers de kilomètres. Revenons quelques années en arrière. Dans les années 1970, alors que Cold Fact et Coming From Reality ont été des flops, une personne dont on ignore encore l'identité s'empare de ces deux disques, les apporte en Afrique du Sud et en fait produire des copies sur cassettes et vinyles. Là-bas, l'accueil est tout autre. En seulement quelques semaines, ces albums s'écoulent à plusieurs milliers d'exemplaires, et plusieurs maisons de disques locales sortent dans la foulée l'album Cold Fact de manière "officielle". Et sans qu'on sache comment, une curieuse légende va naître : Sixto Rodriguez serait mort sur scène après s'être immolé par le feu ou tiré une balle dans la tête, selon les versions.
Parralèllement, les morceaux I Wonder, Sugarman, This Is Not A Song It’s An Outburst et Crucify Your Mind deviennent des tubes, et Cold Fact un disque d’or. Mais plus qu'un succès commercial, le premier album de Sixto Rodriguez se transforme peu à peu en bande originale d'un peuple révolté. Car à cette période, l’Afrique du Sud est en plein Apartheid, la population subissant les actions liberticides des forces alors en place. Les chansons engagées de Sixto trouvent écho chez les jeunes de la classe moyenne blanche opposés au régime, et le gouvernement ne tarde pas à faire censurer Cold Fact. Peine perdue : les chansons de l'album continuent à être diffusées sur des radios pirates, et la voix de Sixto Rodriguez devient celle de la révolution.
Et la popularité de Sixto Rodriguez ne décline pas. Dans les années qui suivent, des centaines de fans sud-africains se font tatouer son visage sur le corps pour montrer leur engagement politique. L’artiste américain devient plus qu'un chanteur : il est désormais un symbole révolutionnaire en Afrique du Sud. Malgré tout, personne ne sait rien de lui, et comme la légende raconte qu'il est mort, personne ne cherche à en savoir plus. Mais lorsque l’Apartheid prend fin en 1994 et qu'Internet commence progressivement à se démocratiser dans les années qui suivent, un disquaire décide de faire des recherches.
22 ans après avoir abandonné la musique, Sixto Rodriguez découvre qu'il est célèbre
Pour en savoir plus sur l'artiste, un disquaire du Cap a créé un site internet via lequel il explique chercher des informations au sujet de Sixto Rodriguez. En 1996, effaré, il reçoit un appel de la fille du chanteur qui, elle même abasourdie par ce qu'elle a découvert, a décidé de téléphoner à ce disquaire pour savoir s'il s'agissait d'une blague. Son père ? Une star en Afrique du Sud ? Vraiment ? Au bout du fil, l'homme lui explique que tout est vrai, et qu'il cherche pour sa part à en savoir plus sur les circonstances de la mort de Sixto. Lorsque la jeune femme explique que l'artiste est bel et bien vivant, c'est au tour du disquaire d'avoir un choc.
Dans les minutes qui suivent cet appel, Sixto Rodriguez découvre donc qu’il est une star en Afrique du Sud et n’en revient absolument pas. Deux ans plus tard, en 1998, il est invité à venir se produire sur scène en Afrique du Sud. Il y est accueilli en héros et joue pour six concerts à guichets fermés. Cette incroyable histoire fait progressivement le tour de la planète, et ses albums gagnent alors en notoriété aux Etats-Unis et en Europe.
Alors qu'il approche de la soixantaine, Sixto Rodriguez réalise le rêve auquel il ne voulait plus croire. Il réalise plusieurs tournées en Europe, et en 2012, sa vie fait l'objet d'un documentaire réalisé par Malik Bendjelloul, Sugar Man, auréolé d'un succès public et récompensé par de nombreux prix à travers le monde. Et si Sixto Rodriguez a maintenant tiré sa révérence, son histoire est gravée à jamais dans ce film, disponible en VOD chez SFR.
Sources : Time, Hier soir à Paris
