
Official Secrets : on a rencontré deux ennemis d'État
Pour la sortie du film Official Secrets en e-cinéma le 2 janvier 2020, avec Keira Knightley et Matt Smith, nous avons rencontré Katharine Gun et Martin Bright, la lanceuse d'alerte et le journaliste sur qui est basée cette incroyable histoire.
En 2003, quelques mois après les terribles attentats du 11 septembre, la tension mondiale est à son comble. Les États-Unis menés par George Bush entendent mener une "guerre contre le terrorisme" et veulent intervenir en Irak contre le régime de Saddam Hussein. Soutenus par la Grande-Bretagne de Tony Blair, les américains demandent alors l'aide des renseignements britanniques pour récolter des informations compromettantes sur certains membres du conseil de sécurité de l'ONU, et les contraindre à voter en faveur de l'invasion en Irak.
Jusqu'à ce qu'une femme en décide autrement. Katharine Gun, incarnée par Keira Knightley, employée des services de renseignement, personne ordinaire avant tout, décide de faire fuiter cette requête des États-Unis. Ce, dans un seul but : tenter d'empêcher cette guerre absurde qui aura des répercussions sur des millions d'Irakiens innocents. Face à elle, un journaliste, Martin Bright, incarné par Matt Smith, qui porte son histoire et sa fuite sur le devant de la scène médiatique, tant bien que mal. Mais par son acte héroïque, elle enfreint la loi sur le secret officiel et risque une condamnation pour trahison. Elle risque sa vie, sa famille, sa liberté...
Official Secrets sortira en France le 2 janvier 2020, en e-cinéma seulement. Pour l'occasion, les véritables protagonistes de cette histoire vraie surréaliste, Katharine Gun et Martin Bright, respectivement incarnés à l'écran par Keira Knightley et Matt Smith, étaient de passage à Paris pour la promotion du film. Avec eux, nous avons parlé trahison, politique et cinéma.
Après avoir fait fuiter ces documents secrets et tenté d'empêcher une guerre, vous vous considérez plutôt comme des héros du peuple ou des ennemis d'État ?
Martin Bright : Notre perspective sur les événements est complètement différente. Katharine travaillait pour les services secrets. Elle a choisi de laisser fuiter un document et d’enfreindre la loi sur le secret officiel. Moi, j’étais journaliste. Un journaliste n’est JAMAIS un ennemi d’État. Sauf dans les pays répressifs. Mais un journaliste n’est pas non plus un héros du peuple. On est entre les deux. Il y avait des faits que le gouvernement voulait occulter. Tout ce que j’avais à faire c’était de les découvrir et de les imprimer dans les journaux. Ça n’a rien d’héroïque, j'ai juste fait mon boulot.
"Je suis gênée parce que je n'ai pas l'impression de mériter tout ce crédit."
Katharine Gun : Je ne me sens absolument pas comme une ennemie d’État. Il est lui-même son propre ennemi. Je me sens plutôt comme une critique de l’État. À l'époque, je ne me sentais pas héroïque du tout. J'essayais simplement de faire ce que je jugeais comme bon. Depuis que le film est sorti, je reçois énormément de messages de personnes qui me disent : "bravo, vous êtes une héroïne, on soutient ce que vous avez fait et on vous en est reconnaissant". Je suis gênée parce que je n'ai pas l'impression de mériter tout ce crédit. Je suis juste une personne ordinaire...

Vous l'avez dit à maintes reprises, si vous en aviez l'opportunité, vous recommenceriez. Néanmoins, que changeriez-vous dans le déroulé des événements ?
Katharine Gun : Je sais ce que Martin voudrait que je change. Il voudrait que je vienne directement le voir pour qu’il puisse se passer des deux longues semaines de vérification de l’information. Mais je ne sais pas si de cette manière, ça aurait marché. Si j’avais été directement le voir, il m’aurait probablement averti des conséquences. Et j’aurais probablement fait machine arrières (rires).
Martin Bright : En effet, ça aurait été génial qu’elle vienne me voir directement. Ce que je regrette vraiment, c’est qu’on n’ait pas essayé de pousser un peu plus le scoop aux États-Unis et ailleurs en Europe. Les choses ont changé aujourd’hui. Les journalistes d’investigation travaillent en collaboration. Si on n’avait fait ça avec le New York Times, l’Observer, Libération, les choses se seraient mieux passées. Je regrette qu’on se soit autant accroché à notre exclusivité sur cette histoire.
Tony Blair et George Bush n'ont jamais vraiment payé les conséquences de leur guerre illégale. Vous n'êtes pas trop déçus ?
Katharine Gunn : Je pense que les quinze années écoulées nous ont montré l’effet domino de ce qui a commencé en 2003. George Bush et Tony Blair ont détourné les services secrets pour cette guerre. Ils ont fait de la fausse propagande. Ils n’en sont pas tenus responsables et ils ne le seront probablement jamais. Aujourd'hui, Donald Trump et Boris Johnson mentent et s'en sortent indemnes parce qu'ils ont vu d'autres avant eux s'en tirer aussi. C'est une grande boule de neige qui corrompt la politique, la société et c'est de pire en pire. Le film ramène justement ces sujets sur le devant de la scène. Tout ce qu'on peut faire c'est continuer à pointer ces mensonges du doigt. Il faut demander la vérité.

Martin Bright : C’est un très mauvais exemple pour nos enfants. Le mensonge est devenu une stratégie, c’est une partie intégrante de la politique. Ce qui rend le travail des journalistes encore plus compliqué. Mais le film montre que même plus de 15 ans après, on garde toujours une trace de ces mensonges. Il faut bien les conserver pour se souvenir.
Sur une note plus légère, ce n'est pas très commun d'avoir droit à un biopic de son vivant. Ça fait quoi de se voir interprété par Keira Knightley et Matt Smith, qui plus est, deux personnes au physique très avantageux ?
Martin Bright : Le plus important c'est l'exactitude, la ressemblance avec les faits réels (rires).
Katharine Gun : Je suis très contente de ne pas ressembler à Keira Knightley. Je ne voudrais pas me faire alpaguer dans la rue par des gens qui me prennent pour elle (rires). Mais c'était plutôt bizarre de se voir comme ça. Ce n’est pas comme un enregistrement de vrais événements. J’avais l’impression de regarder une autre histoire. Ce qui m'a permis de m'asseoir tranquillement et de regarder le film sans fondre en larmes.

Martin Bright : Pour moi ce n’est pas pareil. Katharine Gun, interprétée par Keira Knightley, est le personnage principal du film. Quand on regarde le film, on s’identifie à son personnage. On est de son côté, on veut que tout aille bien pour elle. Oui, je suis dans le film. Mais le focus est complètement sur elle. D’ailleurs, la performance de tout le casting est incroyable, même pour les personnages mineurs. J'aime ce que Matt Smith apporte, l'intensité du moment, intensité que traversait Martin Bright à cette époque.
Official Secrets de Gavin Hood, avec Keira Knightley, Matt Smith et Ralph Fiennes, sortira le 2 janvier 2020 en e-cinéma.
