
Calamity : Rémi Chayé nous raconte les coulisses de ce (très beau) film d'animation
Sorti trop brièvement en salle, Calamity : une enfance de Martha Jane Cannary est désormais disponible en DVD et Blu-Ray, ainsi qu'en VOD. Si l'on vous en parle, c'est qu'il s'agit d'une véritable petite pépite d'animation, à découvrir absolument en famille. Une grande aventure dans l'Ouest américain à l'époque de la ruée vers l'or, qui nous invite à explorer l'enfance d'une légende et d'une figure féministe du Far West. Nommé aux César et récompensé au Festival d'Annecy, il s'agit du deuxième film d'animation du réalisateur Rémi Chayé, après Tout en haut du monde. Rencontre.
Pourquoi avoir choisi Calamity Jane comme héroïne ?
C'est à la suite d'un documentaire que j'ai vu sur Arte, qui racontait la vie de Martha Jane Cannary. Je cherchais des idées pour un deuxième film et je suis tombé sur ce documentaire, qui racontait qu'elle avait fait la route de l'Oregon avec ses parents à l'âge de 10 ans. Comme je connaissais le personnage, et que je savais que c'était quelqu'un qui était à la frontière du genre, j'ai trouvé ça passionnant. On a une gamine, qui va devenir plus tard ce personnage qui s'habille en homme, qui rentre dans les saloons… Il y avait un gros potentiel. J'ai imaginé tout de suite que son père avait un accident, que c'était ça qui l'avait poussée dans la vie des garçons, que du coup on avait un personnage qui n'était a priori pas contestataire de son statut de jeune fille mais qui avait plutôt été plongée dans la vie des garçons — et qui avait du caractère, donc quand on lui demandait d'en sortir elle refusait. J'ai proposé ça à Fabrice De Costil et Sandra Tosello, mes coscénaristes avec qui j'avais déjà travaillé. Puis on a pitché le sujet quelques semaines après à Maybe Movies, aux producteurs Claire La Combe et Henri Magalon.
Il est difficile de ne pas faire le parallèle avec votre premier film, sachant que les deux racontent de grandes expéditions, d'un autre temps, à travers de vastes paysages. Ce sont des aventures qui vous fascinent ?
Oui bien sûr. Le voyage, les grands espaces, ce sont des choses qui m'intéressent sur le plan visuel, sur le plan cinématographique. En tant que cinéaste, d'ouvrir comme ça le CinemaScope pour aller chercher du paysage, c'est un régal ! Ensuite, c'est vrai que le XIXème siècle c'est une époque où l'aventure est possible, où certaines zones sur la carte sont encore grises, on n'est pas encore connectés, le monde n'est pas fermé… Ce que racontent les expéditions polaires par exemple, c'est que quand on part pour le pôle on ne sait pas quand on va revenir, si on revient. Les familles qui voient les marins partir ne savent pas quand ils vont revenir, ni comment, ils n'ont pas de nouvelles pendant des années. Donc voilà, c'est un monde qui m'intéresse, le côté préindustriel aussi. Je me trouve bien là-dedans.
Puis bien sûr, ce sont de jeunes héroïnes qui portent vos deux films… Si vous deviez les comparer, quels seraient leurs points communs et à l'inverse leurs différences ?
Les différences sont énormes ! Dans Tout en haut du monde on a une princesse qui doit descendre de son piédestal pour essayer d'aller vers les autres, d'apprendre la solidarité pour survivre dans des conditions extrêmes, et c'est une gamine qui… On ne va pas dire qu'elle est lisse, mais c'est une petite princesse, elle est jolie, elle a des connaissances, elle a tout pour elle. Alors que Calamity, elle est déjà dans la survie, elle est grossière, elle ne fait pas ce qu'on lui dit. Elle a une spontanéité dans les solutions qu'elle trouve pour survivre : il faut faire du cheval, sa robe l'entrave, donc elle met un pantalon... et elle se prend les codes sociaux dans la figure. On est plus sur l'interrogation de qu'est-ce que c'est d'être une fille et qu'est-ce que c'est d'être un garçon, alors que dans Tout en haut du monde on a une gamine qui est en train de faire le deuil de son grand-père, c'est complètement autre chose sur le fond.
La seule chose qu'elles ont en commun, c'est d'être des héroïnes sans super-pouvoirs. Elles n'ont que leur courage, leur ténacité et leur caractère pour avancer et dépasser les épreuves que nous, méchants scénaristes, on met sur leur chemin ! Je m'intéresse beaucoup à ce genre de personnages, ce ne sont pas des héroïnes à la Hunger Games qui vont être super fortes à l'arc. On va les voir en train d'apprendre, en train de galérer… Elles n'ont pas de qualités particulières, comme en ont souvent les héroïnes féminines en ce moment dans les films. Que leur courage et leur ténacité.
Calamity est un film féministe, par son héroïne mais aussi par sa conception, puisqu'on retrouve une certaine parité entre femmes et hommes qui ont travaillé sur ce projet. C'est quelque chose qui vous tenait à cœur ?
Malheureusement, malgré une volonté affichée et certaine, on n'a pas réussi à le faire — on est à 47/53, à peu près, donc ce n'est pas une fierté. La parité, ça devrait être normal et on ne devrait même pas en parler. Mais oui, c'était une volonté de Claire La Combe (productrice, ndlr.) et moi-même au départ. On avait tenté de le faire sur Tout en haut du monde, puis on s'était aperçus qu'on en était loin, donc sur Calamity on s'était dits qu'on allait le faire de manière plus active. Il faut être actif, parce que si on laisse faire, on se retrouve avec un petit 20%. Et la parité c'est pas que ça, faut regarder aussi les postes, les salaires, etc. Il faut être attentif.
Pour en revenir à Calamity, pourquoi avoir choisi de raconter son enfance plutôt que sa légende ?
C'est toujours intéressant d'avoir des enfants comme héros de films qu'on montre aux enfants. Et ce qui m'avait interpellé dans ce documentaire que j'avais vu sur Calamity Jane, c'est le fait qu'elle avait 10 ans quand elle a fait la route de l'Oregon. Donc j'ai une gamine qui est dans un convoi, un village sur roues, une vingtaine de chariots qui traversent des plaines pendant des mois et des mois… C'est une aventure. Il faut imaginer ce que c'est que de le faire à 10 ans, à quel point ça doit être marquant !
Le titre du film c'est "Calamity : UNE enfance de Martha Jane Cannary". Cet article indéfini est là pour souligner le fait qu'il s'agisse d'un récit fantasmé ?
C'est ça. C'est une fiction. On a trouvé un bouquin d'un historien très sérieux, qui fait la part des choses entre le mythe et la réalité, et on a défini deux bornes historiques. D'abord le départ du Missouri, où la famille leur intente un procès pour un problème d'héritage, ils ne s'y présentent pas, on envoie les Marshals et on s'aperçoit qu'ils sont partis. Puis deux ans plus tard on les retrouve dans le Montana, à Virginia City, à la suite d'une ruée vers l'or. Le père y a probablement tenté sa chance, mais l'hiver est rude, et les enfants Cannary sont en train de mendier. Entre ces deux bornes historiques, il n'y a rien de sérieux, juste la parole de Martha Jane qui a dit que ça avait été très formateur, qu'elle avait appris à tirer au fusil, conduire les chariots à cette époque-là, et qu'elle avait beaucoup aimé ce moment. Du coup on a fait une fiction totale, en l'assumant, en disant que c'est "une" enfance et qu'il peut y en avoir d'autres, par d'autres auteurs. On ne prétend pas raconter la vérité. Et d'ailleurs pendant tout le film on joue avec le mensonge, parce que c'est un personnage qui ment, qui raconte des histoires, elle se sort des situations par le récit… Donc on joue avec ça nous aussi.
Y a-t-il une part de vrai tout de même ?
On invente une histoire mais on essaie d'être le plus proche possible du personnage. Son amour des militaires par exemple, on s'en sert, le fait qu'elle mente aussi. Puis son frère et sa sœur ont existé, après on ne sait pas s'il y en avait d'autres, on peut imaginer que oui… Mais tout ce qu'on met en scène sur le convoi, c'est faux. C'est simplement inspiré de nos lectures sur l'époque. Madame Moustache par exemple a existé, mais ce n'était pas du tout ce personnage, on a juste gardé son nom.
Comment développez-vous justement ces personnages secondaires ?
Ce qu'on essaie de faire, c'est de travailler des personnages qui sont le plus justes possibles, qui ont leur part de lumière et leur part d'ombre. Il n'y a pas de méchants caricaturaux — peut-être à part le Shérif et le Colonel à la fin, qui sont plus des personnages de comédie, pour faire rire. Mais les personnages du père ou d'Abraham, le leader du convoi, on a essayé de les écrire avec une certaine complexité. Ce dernier par exemple est un personnage psychorigide qui va vaciller, mais on finit par comprendre pourquoi il a vacillé, pourquoi son fils a agi comme il a agi… On essaie toujours de donner des pistes aux enfants, de montrer que la méchanceté c'est pas simplement "je suis méchant parce que je suis méchant". Puis on essaie aussi de créer des modèles alternatifs. Sur le père notamment, j'ai beaucoup insisté pour qu'il soit un peu empêché, un peu lâche… Je trouve que c'est important de montrer aux enfants d'autres modèles. Ça m'insupporte que le modèle du père, dans beaucoup de films américains, soit toujours l'homme très fort, qui assure. Tous les pères ne sont pas comme ça.
En termes de dessin, on reconnaît bien là votre patte, notamment comme on l'a dit sur ces vastes paysages. Comment concevez-vous ces décors, qui paraissent réalistes sans vraiment l'être ?
C'est tout à fait ça. C'est réaliste sans l'être. En fait c'est l'effet de lumière qui est réaliste… Le style graphique, c'est un travail collectif, mais ça on le doit notamment à Patrice Suau, qui est en quelque sorte le directeur de la couleur. C'est ce qu'il a réussi à faire : on a des couleurs qui sont folles, et pourtant on a déjà vu ces lumières... On a déjà vécu cette intensité, d'être dans le rouge d'un coucher de soleil, ou d'être dans l'éblouissement d'un soleil de plomb qui tombe à midi, ou d'être dans un plateau où la terre est humide, un peu rouge, et qu'on sent la lavande… Et pourtant il n'y a pas de détails, ce n'est pas réaliste. Je suis super fier des équipes qui ont fait ça.

Comment faites-vous pour étudier ces paysages, vous allez sur place ?
Oh non, on n'a pas le budget ! On n'est pas Disney qui peut envoyer 30 personnes au Kenya pour étudier la forêt ! On travaille avec de la doc, avec Street View, des équipes de layout pour comprendre cet espace. Surtout qu'en tant qu'Européens on est habitués à de petits espaces, et là on a cet espèce de gigantisme américain, il faut arriver à l'exprimer. On a beaucoup travaillé sur les nuages, sur les cieux pour rendre ce gigantisme. Et on a travaillé avec des paysagistes américains, des impressionnistes pour le jeu sur la couleur, ainsi qu'avec des posters vintage de trains… Ce sont des compagnies américaines privées qui vendaient des destinations à l'intérieur des États-Unis et qui faisaient des sérigraphies avec des couleurs, des cadrages un peu spectaculaires. Il y a une simplification du dessin, montrant pourtant quelque chose d'assez fort sur le plan de la composition. Puis c'est aussi une invitation au voyage, à quelque chose d'un petit peu nostalgique.
Puis il y a la musique, qui nous plonge également dans l'ambiance du Far West…
Oui, le son, la musique ça joue, avec Florencia Di Concilio qui nous signe une magnifique partition. Elle est partie d'abord du bluegrass, une musique traditionnelle américaine. La formation classique c'est contrebasse, mandoline, guitare, violon et banjo. Et en fait, au fur et à mesure qu'on avançait sur l'image, on s'est aperçus qu'à cause de l'ampleur que prenaient les décors et du lyrisme qu'on obtenait avec les couleurs, il fallait qu'on ait un orchestre. Donc elle a proposé d'aller enregistrer à Londres, elle a orchestré elle-même sa musique. C'est une superbe mélodiste, elle a le talent pour accompagner l'image, et en plus c'est une orchestratrice magnifique. Donc on a vraiment une B.O. dont je suis super fier.
En revanche c'est vous qui avez écrit les paroles de la chanson du générique…
Oui ! Au départ c'est une chanson qui devait être intégrée dans l'histoire. Quand Martha Jane rencontre Jonas, on voulait qu'elle le saoule en braillant et en jouant en tapant à moitié sur un instrument… Mais pour des problèmes de rythme, ça ne collait pas. Puis quand on cherchait des idées pour le générique de fin, on a ressorti ce texte que j'avais commencé à écrire et on l'a retravaillé avec Florencia. C'est elle qui a eu cette idée géniale de le faire finir par une chorale d'enfants, et on a un petit clip où l'on voit l'enregistrement, les gamins qui chantent… À chaque fois j'ai la larme à l'œil, ça me régale.
Peut-être que les enfants dans les cours de récré vont se mettre à le chanter ce générique de Calamity !
(Rires) Ce serait une grande fierté !
Pour le mot de la fin : maintenant, c'est quoi la suite ?
Je travaille actuellement avec Fabrice De Costil et Sandra Tosello sur la Zone, un quartier qui entourait Paris autour de 1900. C'était sur un glacis défensif, autour des fortifications de Paris il y avait une zone inconstructible, une sorte de no man's land de 250m2. Il y avait une tolérance pour l'installation de roulottes et la création de cabanes, ça c'est densifié et c'est devenu un bidonville. C'était la seule partie de Paris qui n'était pas éclairée, donc ça faisait très peur, d'ailleurs c'est de là qu'en sont sortis les Apaches (des voyous de la Belle Époque, ndlr). Il y avait beaucoup de pauvreté, mais aussi un côté bucolique parce que c'était un peu la campagne à Paris malgré cette misère… Donc voilà, c'était très stigmatisant et ce qu'on veut raconter c'est le destin d'une gamine qui veut sortir de ça, qui va travailler à l'usine et finir par devenir auteure de chansons, qui va chanter pour essayer de sortir de sa condition.
En attendant de pouvoir découvrir le prochain projet de Rémi Chayé, qui s'annonce fort prometteur mais qui ne verra pas le jour avant quelques années, retrouvez dès à présent Calamity : une enfance de Martha Jane Cannary en DVD et Blu-Ray. Ce superbe film d'animation est également disponible en VOD sur la box SFR.
Source : Allociné
