Musique

BigFlo et Oli, de la cour des grands à la vraie vie

Les rappeurs de Toulouse Bigflo et Oli lors des Victoires de la Musique 2019 © Thomas Samson / AFP

Avec leur blase, on pourrait les prendre pour des YouTubeurs. Mais BigFlo et Oli sont de cette nouvelle génération de rappeurs, celle qui embrasse la variété après avoir été biberonnée aux Rap Contenders…

Nothing to prove, nothing toulouse

De leurs vrais prénoms Florian et Olivio, les deux jeunes frères toulousains se mettent au rap à respectivement neuf et six ans. Avec un père argentin et chanteur de salsa, la musique prend très vite une part importante de leur vie. C’est ainsi qu’ils reçoivent une solide formation et pratiquent des instruments qui étonnent pour des rappeurs, comme la trompette et le piano. Genre, est-ce que quelqu’un a déjà imaginé JoeyStarr jouer du saxophone ?

BigFlo et Oli tranchent clairement avec la génération hip-hop qui émerge au début des années 2000 et leur titre Nous Aussi en parle parfaitement. L’imagerie gangsta rap ne les attire pas du tout et bien que bons en cours tous les deux (chacun a le bac en poche), leur école préférée reste celle du micro d’argent. Celle d’IAM, d’un rap conscient où les mots ne passent pas derrière le beat et où le fond est plus important que la forme.

Petits prodiges, ils se font vite connaître, publiant dès 2005 leur première chanson sur YouTube, Château de Cartes. Les images montrent la guerre au Liban, tandis qu’ils chantent “Assis dans ton sofa, c’est facile de se sentir indigné”, alors qu’ils n’ont que… 9 et 12 ans. Une précocité monstrueuse, qui les conduit vers d’autres chansons, vidéos et premiers concerts, à participer aux fameux Rap Contenders. Vous voyez le film 8 Mile ? C’est un peu le même principe, des rappeurs se clashent en direct (mais pas toujours en impro, beaucoup de vannes sont écrites avant). Alors qu’ils ne sont que des ados, ils l’emportent haut la main, humiliant leurs adversaires Sakage et Kemar, qui passent pour de vulgaires blagueurs en mode “ta mère”, pendant que les deux frères envoient du lourd, comme “si j’ai votre CD dans ma caisse, c’est pour pouvoir me garer sur les places handicapés” ; ou Oli, 15 ans à l’époque, qui balance : “j’ai pas la moitié de leur âge, ils ont pas le quart de mon talent”.

Regardez, vous ne les aviez peut-être jamais vus comme ça :

Pourquoi pas eux ?

En 2012, Orelsan accepte de faire un featuring pour leur clip Pourquoi pas nous ?, dans lequel BigFlo et Oli déplorent le niveau du rap actuel et affiche un niveau lyrique et musical plus que prometteur, avec notamment l’utilisation de la fameuse trompette dans les arrangements. Le tout avant que Kendrick Lamar ne soit mainstream.

C’est grâce au clip de Monsieur Tout Le Monde que le duo se fait vraiment connaître du grand public, avec Kyan Khojandi, révélé par la série Bref, dans le rôle principal. Abordant une thématique résolument sombre et affreusement réaliste, BigFlo et Oli montrent une nouvelle fois leur grande maturité, qui se confirmera plus tard avec des titres comme Le Cordon, évoquant l’avortement, ou Salope !, sur la prostitution. D’ailleurs, les plus grands artistes n’hésitent pas à collaborer avec eux : JoeyStarr, Stromae, Petit Biscuit ou Busta Rhymes... Les deux frangins parviennent même à être le pont entre deux générations, passant des éloges d’Akhenaton aux millions d’abonnés de Squeezie.

Le chanteur d’IAM a livré la déclaration qui doit être le plus beau compliment qu’on puisse leur faire : “La première fois que je les ai vus, leur maman les attendait dans les coulisses et ça m'a bien fait rire. Puis quand je les ai entendus balancer leur texte, j'ai pris une énorme claque. Ils sont clairement passés par l'école du micro d'argent.” Et parce qu’ils sont aussi des jeunes qui savent vivre avec leur temps, ils ont réalisé des vidéos avec Squeezie, pour créer une chanson en une heure, puis en sortant le clip d’une chanson basée sur des mots imposés par les gens sur Twitter. Non mais en fait, est-ce qu’il y a quelqu’un à qui ils ne plaisent pas ?

Un octogone de câlins

Il semblerait que non. À part sans doute dans le rap game où on les trouve trop gentils et sans vrai background. En même temps, eux ne disent pas le contraire et n’abordent pas des choses qu’ils ne connaissent pas. Dans leur nouveau single Nous Aussi 2, ils avouent avoir tué le rap français. Enfin, pas plus que JUL quand même...

On se les arrache partout, d’émissions télé en festivals en passant même par le cinéma. Ils font la BO de Brice de Nice 3 et jouent même dans Alad’2. Ultra-populaires, BigFlo et Oli raflent une Victoire de la Musique en 2018 pour Dommage, chanson originale de l’année, puis deux nouvelles en 2019, comme artistes interprètes masculins et meilleur album de musiques urbaines. Un second trophée pour lequel ils enverront leurs parents sur scène et qui permettra à leur père - ancien clandestin qui jouait dans la rue en faisant la manche (devenu intermittent du spectacle) - de passer un joli message, en rapport avec leur nouveau clip, Rentrez Chez Vous. Un autre morceau qui montre la richesse du propos, quand d’autres se contentent de parler de leur anatomie et de voitures, en promettant des combats pour des histoires de gros sous. Alors certains diront qu’ils vivent chez les Bisounours, mais il semblerait plutôt que BigFlo et Oli sachent, eux, ce qu’est vraiment “la vraie vie”...


Sébastien Delecroix
https://twitter.com/seb_o_matic Sébastien Delecroix Rédacteur