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Cacher le visage de son enfant avec un emoji ne suffit plus aujourd'hui, alors peut-on vraiment publier des photos de nos enfants sur les réseaux ?
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"À 13 ans, un enfant figure sur 1 300 images en ligne" : quels risques de poster sur les réseaux ?

Cacher le visage de son enfant avec un emoji ne suffit plus aujourd'hui, alors peut-on vraiment publier des photos de nos enfants sur les réseaux ? © StockPlanets / Getty Images

Nombreux sont les parents à poster des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux, mais est-ce vraiment une bonne idée ? D’après de récentes études, les dangers sont bien réels. Et ce, même en cachant leur visage avec des emojis...

À l’heure où chaque instant de vie se partage en ligne, les enfants grandissent parfois sous l’œil des caméras des réseaux sociaux. On appelle ce phénomène le sharenting (contraction des termes anglais share et parenting), autrement dit le fait de partager en ligne des photos ou vidéos de ses enfants. Une pratique aujourd’hui massive : selon l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), plus d’un parent français sur deux a déjà diffusé du contenu concernant ses enfants sur les réseaux sociaux. Et les chiffres donnent le vertige : à 13 ans, un enfant figure déjà en moyenne sur plus de 1 300 images publiées en ligne par ses proches, d'après une étude menée par l’agence britannique OPINIUM en 2018 et rapportée par la CNIL.

Si, à première vue, partager ces moments semble anodin - immortaliser une fête d’anniversaire, une sortie au parc, une première rentrée scolaire -, les risques sont pourtant nombreux et parfois insoupçonnés. Alors, pourquoi faut-il réfléchir à deux fois avant de cliquer sur “publier” ?

Des images qui peuvent être détournées à des fins malveillantes

L’un des dangers majeurs tient au détournement de ces photos. Une image d’un enfant en maillot de bain à la plage, ou même une photo anodine dans un contexte familial, peut être récupérée par des individus malintentionnés. Ces contenus alimentent parfois de faux profils, circulent sur des forums ou, pire, se retrouvent dans des réseaux pédocriminels.

L’arrivée des technologies de deepfake accentue encore ce risque. À partir d’une simple photo, des logiciels permettent désormais de créer des montages réalistes, plaçant l’enfant dans des situations fictives, mais humiliantes ou compromettantes. Les experts alertent : un contenu publié aujourd’hui peut être réexploité demain, bien loin de l’intention initiale des parents.

L’anonymisation illusoire : l’emoji et le floutage, inefficaces face à l’IA

Face à ces menaces, de nombreux parents pensent protéger leur progéniture en recouvrant leur visage d’un emoji ou en floutant la photo. Mais selon les spécialistes, cette précaution est aujourd’hui largement insuffisante. Les outils d’intelligence artificielle sont capables de supprimer ces filtres ou de reconstituer les visages partiellement cachés en quelques secondes.

Et même sans visage, une photo contient souvent d’autres indices précieux : l’âge approximatif, l’école (via un uniforme par exemple), les lieux fréquentés, les objets personnels. Autant d’éléments exploitables par des personnes malveillantes ou par des algorithmes de profilage.

Une identité numérique imposée dès l’enfance

Publier des photos de son enfant, c’est aussi contribuer à la construction d’une identité numérique qui le suivra toute sa vie. Ces contenus, parfois banals ou attendrissants, peuvent devenir source de moqueries ou de cyberharcèlement une fois que l’enfant grandit. À l’adolescence, une photo d’enfance ressortie hors contexte peut être utilisée pour humilier ou intimider. Et plus largement, ces traces numériques peuvent nuire à sa réputation, voire avoir un impact sur sa vie professionnelle future.

En d’autres termes, chaque publication réduit la capacité de l’enfant à choisir l’image qu’il souhaite donner de lui-même. Or, dans la société actuelle, préserver ce droit est essentiel pour son autonomie et son développement.

D’ailleurs, ai-je le droit de poster des photos de mes enfants ?

Le droit à l’image est protégé par l’article 9 du Code civil et par la Convention internationale des droits de l’enfant. En pratique, cela signifie que chaque mineur a le droit au respect de sa vie privée et peut s’opposer à la diffusion de son image.

En France, ce sont en principe les parents qui exercent ce droit au nom de leur enfant. Mais la loi rappelle qu’ils ont le devoir d’agir dans l’intérêt supérieur de celui-ci. Plusieurs décisions de justice ont d’ailleurs établi que publier des photos de ses enfants, notamment sur les réseaux sociaux, nécessitait l’accord des deux parents.

Les tribunaux peuvent aller plus loin : en 2018, en Italie, un adolescent de 16 ans a obtenu gain de cause contre sa propre mère, contrainte de retirer toutes les photos de lui publiées sans son consentement.

Quels réflexes adopter pour protéger ses enfants ?

Face à ces risques, la CNIL recommande plusieurs bonnes pratiques. La première : privilégier le partage privé plutôt que public. Les messageries sécurisées (WhatsApp, par exemple), les mails ou encore les groupes restreints sur certaines plateformes permettent de limiter l’exposition.

Ensuite, éviter certaines images sensibles : pas de photos dénudées, dans le bain ou en maillot de bain, ni de clichés qui pourraient embarrasser l’enfant plus tard. Si la publication semble indispensable, mieux vaut photographier l’enfant de dos ou masquer des éléments d’identification.

Il est également essentiel de sécuriser ses comptes en réglant les paramètres de confidentialité, de faire régulièrement le tri dans ses abonnés et de supprimer les images devenues obsolètes. Enfin, il convient de demander systématiquement l’avis de l’enfant lorsqu’il est en âge de comprendre, ainsi que celui de l’autre parent.

Publier une photo d’enfant, même anodine, n’est jamais un acte neutre. Ce geste peut découler sur des dérives pédophiles, des brimades, une violation du droit à l’image et une altération d’une construction identitaire numérique. Alors, avant de poster, demandez-vous si cela en vaut vraiment la peine…

Sources : Est Republicain, CNIL

Martin Senecal
https://twitter.com/diaseptyl Martin Senecal Rédacteur