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Jeremy Allen White livre une performance poignante en Bruce Springsteen
Cinéma

Springsteen : Deliver Me From Nowher, une plongée dans la psyché d’un artiste authentique

Jeremy Allen White livre une performance poignante en Bruce Springsteen © 20th Century Studios

Ce nouveau biopic adapte directement l’ouvrage éponyme. On y retrouve un Bruce torturé, tiraillé, d’une part par le succès et la dépression, mais aussi entre un ami aimant, Jon Landau (Jeremy Strong) et les souvenirs douloureux d’un père, Doug Springsteen (Stephen Graham). Les deux acteurs se confient à SFR Actus sur ce film poignant.

Alors que les biopics se multiplient depuis quelques années, la norme veut que l’on raconte l’histoire de l’artiste plus ou moins du début à la fin. Springsteen : Deliver Me From Nowhere, réalisé par Scott Cooper, fait différemment et préfère plutôt nous plonger intensément dans un bref moment de la carrière du Boss, sûrement l’un des plus difficiles de sa vie.

Adapté du livre de Warren Zanes, le film retrace la genèse de Nebraska (1982), album solitaire et déchirant de Bruce Springsteen, enregistré sur un simple magnétophone quatre pistes dans une maison du New Jersey. Entre dépression, quête de sens et tension entre gloire et authenticité, l’œuvre nous entraîne dans la tête d’un artiste en lutte contre lui-même et l’industrie de la musique.

À l’occasion de la sortie du film, nous avons pu échanger avec Jeremy Strong, qui incarne Jon Landau, le manager et confident de Bruce, et Stephen Graham, bouleversant dans le rôle du père de l'artiste.

Bruce spectateur de Bruce

Comme on pouvait s’en douter, Bruce a pu participer à la réalisation du film, et les acteurs ont pu écouter ses paroles pour leurs rôles. Cela dit, Springsteen n’a été présent qu’à partir du premier jour de tournage, et bien qu’il ait assisté à la plupart des scènes par la suite, les acteurs ont dû trouver d’autres matériaux pour préparer leur rôle en amont. Pour Jeremy Strong, l’entrée dans l’univers du Boss est passé bien sûr par la documentation, mais pas seulement :

“J’ai essayé de lire tout ce que je pouvais sur l’industrie musicale, mais ce n’est pas tant l’information qui compte que de savoir ce que c’est d’être passionné à propos de ce sujet. Il me fallait une certaine base, mais ensuite c’est surtout l’émotion intérieure du personnage qui prime.”

Cette approche, presque sensorielle, se ressent à l’écran. Le Jon Landau qu’il incarne n’est pas un simple manager, mais un témoin privilégié de la tempête intérieure que traverse Springsteen. Strong trouve le ton juste entre la rationalité du producteur et l’humanité d’un ami.

De son côté, Stephen Graham confie avoir puisé son inspiration dans un matériau inattendu, la voix-même de Bruce :

“Pour mon personnage, je me suis inspiré de l’audiobook Deliver Me From Nowhere lu par Bruce lui-même. Chaque fois qu’il lisait des passages impliquant son père, le ton de sa voix changeait et ce sont ces émotions et ce ton que j’ai utilisé pour construire mon rôle. Quand j’ai échangé avec lui, il m’a dit qu’il ne se rendait même pas compte que sa voix changeait à ces moments-là.”

Une anecdote révélatrice : tout dans Deliver Me From Nowhere est affaire de sincérité, de fragilité, de nuances. Loin de dépeindre seulement la page Wikipédia de l’artiste, c’est plutôt une fenêtre ouverte sur ce que l’homme a traversé, de ses sentiments à ses convictions jusqu’à ses cicatrices enfouies.

Plongée dans l’intimité de l’artiste

En effet, à l’écran, Deliver Me From Nowhere dépasse largement le cadre du biopic musical pour devenir un portrait psychologique. Le film nous fait pénétrer dans la solitude de Bruce, à l’automne 1981, alors qu’il vient de triompher avec The River mais se sent paradoxalement vidé. Isolé dans sa maison du New Jersey, il enregistre seul les dix morceaux de Nebraska, des chansons peuplées de personnages brisés, reflets de sa propre mélancolie.

Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) dans sa maison du New Jersey
Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) dans sa maison du New Jersey © 20th Century Studios

Stephen Graham évoque avec une grande sensibilité cette relation père-fils au cœur du film :

“Bruce m’a dit qu’il savait que son père l’aimait, mais qu’il n’avait jamais senti cet amour.”

Ce paradoxe nourrit toute la douleur de l’artiste. La figure paternelle, interprétée par Graham, incarne à la fois la rudesse du monde ouvrier et la distance émotionnelle typique d’une génération :

“Bruce et son père ont tous les deux fait face à leurs démons, mais le fils lui, a réussi à devenir un guide pour le père. Bruce a réussi à briser la maladie spirituelle avec laquelle il était né [...] Beaucoup d’hommes de la génération du père de Bruce pensaient qu’il suffisait de continuer à travailler et de ramener du pain sur la table, qu’il n’y avait pas à faire face à ses émotions ou celles des autres, là où Bruce a réussi à avoir de l’empathie pour son père.”

Scott Cooper filme cette relation avec pudeur : les flashbacks avec son père se font rares, mais tout prend sens à travers la dépression de Bruce. Deliver Me From Nowhere capte l’essence même de ce qui a façonné “The Boss” : les stigmates, la sensibilité, et cette quête obstinée de rédemption.

L'univers de la musique sous un autre regard

Contrairement à d’autres films musicaux traditionnels, Deliver Me From Nowhere ne glorifie pas la scène, les tournées ou la célébrité. Le cœur du récit se situe ailleurs : dans l’intimité d’un musicien qui doute, qui cherche à rester vrai dans un monde où le succès menace l’intégrité. D’ailleurs Bruce dira à ce sujet : “The precious of the music business is powerless in face of what is real.” Traduction : "La superficialité de l’industrie de la musique ne pourra jamais surpasser la puissance de ce qui est sincère.” Dans ce registre, Jeremy Strong, en interprétant Jon Landau, offre une vision assez différente de ce que l’imaginaire collectif attend d’un manager de star :

“Ils sont Lewis and Clark, Jon Landau est Clark et Bruce est Lewis. C’est assez unique de voir un tel businessman avoir autant d’intégrité [...] il était clairement une lumière pour Bruce sur bien des aspects et inversement. [...] Jon croyait en Bruce d’une manière presque religieuse.”
Jon Landau (Jeremy Strong) et Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) dans "Deliver Me From Nowhere"
Jon Landau (Jeremy Strong) et Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) dans "Deliver Me From Nowhere" © 20th Century Studios

Le duo Landau-Springsteen, tel que le montre le film, n’est pas une relation d’artiste à agent, mais de deux âmes en quête d’authenticité. L’un aide l’autre à se reconstruire, à trouver sa voix, ou plutôt savérité” comme Bruce aime dire quand il parle de son album Nebraska. Jeremy Strong ajoute à ce propos :

“La création de l’album Nebraska est aussi une histoire à propos de la recherche d’authenticité, d’intégrité dans un monde qui ne protège, ni ne célèbre ces deux choses.”

Et c’est sans doute là le véritable sujet du film : l’acte de création comme survie. En refusant d’enregistrer un album calibré pour les radios, en choisissant de chanter la solitude et la douleur, Springsteen s’éloigne du “rockstar system” pour devenir un artiste au sens le plus pur du terme, il est sa propre catharsis. Dans un monde où tout pousse à l’artifice, Deliver Me From Nowhere rappelle que la vérité artistique naît souvent dans le doute et la fragilité.

À travers la caméra de Scott Cooper et les performances habitées de Jeremy Allen White, Jeremy Strong et Stephen Graham, le film devient bien plus qu’un biopic : une méditation sur la foi, l’identité et la musique comme exorcisme. Au-delà du mythe du “Boss”, Deliver Me From Nowhere révèle un homme qui, à 31 ans, cherchait simplement à se comprendre. En se repliant dans une petite maison du New Jersey, Springsteen ne fuyait pas le monde : il tentait de se retrouver lui.

Springsteen : Deliver Me from Nowhere est à découvrir dans les salles de cinéma depuis ce mercredi 22 octobre 2025.

Martin Senecal
https://twitter.com/diaseptyl Martin Senecal Rédacteur