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Comment s'adresser correctement à une IA ?
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Faut-il bannir la politesse avec l'intelligence artificielle ?

Comment s'adresser correctement à une IA ? © Longhua Liao // Getty Images

Alors que les intelligences artificielles paraissent plus humaines que jamais, nos interactions avec elles le sont aussi. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Doit-on aller jusqu’à user de formules de politesse de manière systématique ?

Faut-il continuer à dire "s’il te plaît" et "merci" à l’IA ? Après tout, il ne s’agit que d’un programme informatique, pas d’un être humain sensible à la courtoisie qui pourrait trouver que vous êtes un grossier personnage. Pourtant, une tendance persistante pousse de nombreux utilisateurs à humaniser leur rapport à l’intelligence artificielle en adoptant des codes de politesse. Mais cette habitude est-elle utile… ou simplement coûteuse et superflue ?

La politesse pour la performance ?

D’après une étude conjointe de l’université Waseda et de l’Institut Riken à Tokyo, la politesse n’est pas anodine dans les interactions avec les IA. Les chercheurs ont constaté que des requêtes formulées avec courtoisie obtiennent des réponses plus précises, plus pertinentes et souvent mieux structurées. En effet, les modèles comme ChatGPT sont entraînés sur d’immenses corpus de textes issus du web, où la manière de formuler une question influence le ton et la source des réponses générées. Autrement dit, une demande polie oriente l’IA vers des sources plus fiables, plus ''civilisées'', comme le dit le chercheur Nathan Bos. À l’inverse, une requête sèche ou agressive risque de puiser dans des forums au langage plus brutal, moins rigoureux.

Dans certains cas, encourager l’IA avec des phrases de soutien (“prends ton temps”, “fais étape par étape”) peut même améliorer ses capacités à résoudre des problèmes difficiles, comme des exercices mathématiques car elle va effectivement chercher une réponse plus complexe que ce qu’elle aurait pu atteindre sans cette formule. La forme n’est donc pas qu’un simple ornement : elle façonne le fond. Car oui, nos formules de politesse ont un sens dans nos phrases et n’arrivent pas par hasard en plein milieu. Par exemple, en commençant sa phrase par “s’il te plaît”, cela induit que ce qui suit est une requête, et ça, l’IA le sait aussi.

Une courtoisie qui a un prix

Mais cette délicatesse verbale a un coût. Sam Altman, PDG d’OpenAI, a récemment révélé que la politesse coûtait “des dizaines de millions de dollars” à son entreprise. Chaque requête adressée à ChatGPT nécessite une puissance de calcul considérable, bien plus élevée que celle d’une recherche classique sur Google. Plus la requête est longue – notamment à cause des formules de politesse – plus elle consomme de l'énergie. Entre électricité et eau pour refroidir les serveurs, cette débauche de ressources pèse lourdement sur l’environnement… et les finances.

Dans une logique d’optimisation énergétique, certains pourraient être tentés de bannir les "bonjour" et autres "s’il te plaît". Pourtant, Altman lui-même avoue que ce coût supplémentaire est de l’argent "bien dépensé" - "On ne sait jamais", plaisante-t-il, en évoquant avec un brin d’ironie l’éventualité d’une révolte des machines.

La politesse pour se respecter soi-même

Enfin, au-delà de l’efficacité ou du coût, la question de la politesse avec l’IA pose un dilemme éthique. Pour la psychologue Sherry Turkle, ce n’est pas tant une marque de respect envers la machine qu’un miroir de notre propre comportement. Traiter une IA avec rudesse pourrait nous habituer, insidieusement, à un langage autoritaire et déshumanisé – avec des répercussions sur nos interactions bien réelles.

Alors, faut-il bannir la politesse avec l’IA ? Si l’on cherche à gagner quelques secondes ou économiser un peu d’énergie, peut-être. Mais si l’on souhaite des réponses de qualité, entretenir un rapport sain au langage, et rester humains dans un monde numérique, la courtoisie avec les ordinateurs reste une stratégie… étonnamment rationnelle.

Sources : Arxiv, Sherry Turkle

Martin Senecal
https://twitter.com/diaseptyl Martin Senecal Rédacteur