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''A Real Pain'' est le premier film de Jesse Eisenberg en tant que réalisateur et acteur.
Cinéma

A Real Pain : l’introspection de Jesse Eisenberg nommée aux Oscars

''A Real Pain'' est le premier film de Jesse Eisenberg en tant que réalisateur et acteur. © Searchlight Pictures

Jesse Eisenberg signe son premier film en tant que réalisateur et acteur. Il s’agit d’une tragi-comédie qui aborde avec intelligence des sujets difficiles tels que l’holocauste, la légitimité de la souffrance et les traumas générationnels. Retour sur notre échange avec les acteurs Jennifer Grey et Will Sharpe.

Le deuxième long-métrage de Jesse Eisenberg, A Real Pain, a su conquérir critiques et spectateurs grâce à son regard original et profond sur la mémoire de l’Holocauste et son impact sur les générations qui en héritent. Nommé aux Oscars pour le meilleur scénario original et porté par la performance bouleversante de Kieran Culkin - nommé dans la catégorie du meilleur second rôle - ce buddy movie atypique explore avec humour et sensibilité la question de la souffrance transmise, du deuil et de la reconstruction identitaire.

Une comédie dramatique sur fond de mémoire historique

Le film suit David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin), deux cousins américains aux tempéraments opposés qui entreprennent un voyage organisé en Pologne pour visiter les lieux de mémoire de l’Holocauste, en hommage à leur grand-mère rescapée du camp de Majdanek. Loin d’être une fresque historique classique, le film mêle humour et drame, entre querelles familiales et quêtes identitaires. Cette approche inédite et audacieuse contribue au devoir de mémoire.

Pour autant, le spectateur n’a nullement besoin de connaître l’histoire du XXeme siècle sur le bout des doigts pour apprécier le film. D’ailleurs, Jennifer Grey (Dirty Dancing), qui joue Marcia, une participante du voyage, a insisté sur l’accessibilité lors de notre échange, même pour un public peu familier avec l’histoire de la Shoah :

"Même si vous ne connaissez rien à l’histoire, vous comprendrez tout et ressentirez tout aussi [...] Les lieux évoquent tout ce dont nous avons besoin et chacun est venu avec sa propre histoire et sa propre souffrance tout en ajoutant une bonne dose d'humour et d’humanité, ce qui rend le tout très accessible."
Jennifer Grey dans ''A Real Pain''
Jennifer Grey dans ''A Real Pain'' © Searchlight Pictures

Cette accessibilité se reflète également dans la mise en scène d’Eisenberg, qui choisit d’aborder le sujet de la mémoire sous un angle intime et personnel qui ne verse jamais dans la solennité pesante.

Une mise en scène respectueuse et poignante

Évidemment, qui dit voyage commémoratif en Pologne dit visite d’un camp de concentration. Un moment difficile, que ce soit pour le spectateur comme pour les acteurs sur le tournage. Jennifer Grey partage son expérience :

"Je ne suis jamais allée dans un camp de concentration et j’étais très anxieuse. En tant que juive, je savais que cela allait faire ressurgir des sentiments en moi. Sur place, rien n’aurait pu me préparer à l’intensité de l’énergie : les souffrances endurées et les événements horribles qui s’y sont déroulés étaient palpables."

Cette résonance émotionnelle est amplifiée par la réalisation sobre d’Eisenberg, qui laisse le silence et les lieux parler d’eux-mêmes. Will Sharpe, l’interprète du guide touristique érudit et maladroit James, souligne cette approche :

"Jesse a vraiment respecté l’endroit et a laissé parler le lieu de lui-même. Il n’y a pas de dialogues, pas de mise en scène ostentatoire, simplement le lieu."
Will Sharpe (à gauche) dans ''A Real Pain''
Will Sharpe (à gauche) dans ''A Real Pain'' © Searchlight Pictures

Cette pudeur cinématographique renforce l’impact du film, évitant le pathos au profit d’une introspection sincère. La souffrance, au cœur du récit, y est traitée avec justesse et humanité et permet à tout le monde de s’y identifier, ce que Jennifer Grey exprime avec émotion :

"La souffrance est un langage universel, même si l’on parle de l’Holocauste, cela ne délégitime pas vos propres souffrances et angoisses."

L'exploration de la douleur et des héritages familiaux

Car oui, A Real Pain interroge tout de même la légitimité de la douleur dans un contexte où l’horreur absolue de l’Holocauste semble reléguer toute autre souffrance au second plan. Le film met en opposition David, un homme réservé et rationnel, et Benji, un personnage extraverti, imprévisible et profondément marqué par le deuil de leur grand-mère. Cette dualité symbolise deux manières de gérer la mémoire et la souffrance : l’une intériorisée, l’autre extériorisée. Chacun peut ainsi s’identifier à l’un ou à l’autre.

La performance de Kieran Culkin (Benji), entre cynisme mordant et vulnérabilité désarmante, est l’un des piliers du film. Déjà récompensé aux Bafta et aux Golden Globes, il est aussi en lice pour l’Oscar du meilleur second rôle, une reconnaissance qui serait méritée pour son interprétation d’un homme en quête de sens, tiraillé entre la douleur et l’irrévérence.

Jesse Eisenberg : un réalisateur-acteur collaboratif

Pour ce qui est de Jesse Eisenberg (David), réalisant et jouant dans son propre film pour la première fois, il démontre une approche à la fois humble et bienveillante de son rôle de cinéaste. Will Sharpe, qui a travaillé sous sa direction, souligne cette qualité rare :

"Jesse est vraiment collaboratif et empathique, il n’agit vraiment pas comme un dirigeant, il faisait partie du tournage au même titre que moi."

C’est sûrement cette posture de réalisateur à l’écoute qui a permis au film de capturer une authenticité et une spontanéité touchantes. La mise en scène fluide, ponctuée par la musique de Chopin, accentue cette atmosphère à la fois légère et chargée d’émotions.

Alors que la cérémonie des Oscars approche, le film, nommé pour le meilleur scénario original et le meilleur acteur masculin pour un second rôle, pourrait bien repartir avec une ou plusieurs statuettes, récompensant un travail audacieux qui questionne avec intelligence et sensibilité la manière dont nous portons l’héritage du passé.

A Real Pain est à découvrir dans les salles obscures de France dès ce 26 février 2025.

Martin Senecal
https://twitter.com/diaseptyl Martin Senecal Rédacteur